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Le petit monde de Coquelicot
25 août 2011

Adieu, Allain, tu resteras dans mon coeur

Le chanteur, âgé de 57 ans, s’est suicidé le 15 août, à Antraigues, le village où Ferrat, son ami et son mentor, avait posé son baluchon. Jack Dion, qui le connaissait bien, évoque son itinéraire.

 

(Capture d'écran Dailymotion - lyon_videos_fr - cc)
L’une des dernières chansons écrites par Allain Leprest portait un titre énigmatique tendance surréaliste : «Donne moi de mes nouvelles». La formule était prémonitoire. En effet, le chanteur, âgé de 57 ans,  s’est suicidé, à Antraigues, le village où Ferrat, qui fut à la fois son ami et son mentor, avait posé son baluchon. C’est le genre de nouvelle que l’on redoutait mais que l’on n’aurait jamais voulu apprendre.

A l’instar de son prénom, Leprest avait deux ailes. L’une le propulsait vers les hauteurs de la création, là où il cohabitait avec les plus grands. L’autre le tirait en permanence vers le néant, d’où il revenait avec des textes magiques et des formules ciselées comme des diamants. Avec le temps, l’alcool, la maladie, l’angoisse, les désillusions de tous ordres, les retours se faisaient plus difficiles, les remontées à la surface plus rares, les rémissions plus fragiles. Comme il disait si bien dans « Bilou » (1986) : « Le bonheur sur ta peau a retourné sa veste ».

Ainsi s’en va l’un des chanteurs phares de notre époque, qui n’aura jamais eu la reconnaissance qu’il méritait. Il aura fallu attendre (trop) longtemps pour que ses pairs découvrent que ce natif du Cotentin émigré à Ivry la rouge (sa couleur préférée) était l’un des paroliers les plus doués de notre époque. Il écumait pourtant les planches depuis déjà belle lurette. Mais quand un artiste n’a pas les honneurs des médias dits grands, à commencer par cette foutue télévision, il en est souvent réduit à remonter son rocher, tel Sisyphe.
 
Voilà pourquoi Leprest est resté si longtemps dans l’ombre, alors qu’il méritait amplement la lumière du succès. Il me souvient l’avoir applaudi en 1992 au théâtre Clavel, dans le 19ème arrondissement de Paris, quand il lança « Voce a mano », accompagné de Richard Galliano à l’accordéon, devant un public qui se comptait sur les doigts des deux mains. Pourtant, il était déjà au sommet de son art, avec des chansons où chaque mot était pesé au trébuchet, où chaque formule faisait mouche, où chaque refrain tapait juste.
 
L’homme n’avait pas son pareil pour conter la difficulté des destinées populaires, l’injustice de ce vieux monde qu’il a toujours combattu poing levé mais cœur en bandoulière, lui le communiste pur et dur capable de s’émouvoir pour un rien. Nonobstant les contre-pieds de l’histoire, il croyait aux lendemains qui chantent, ce qui est normal pour un chanteur. Tous ceux qui l’ont fréquenté étaient estomaqués de sa facilité d’écriture, qui tenait de la fulgurance. Vous le quittiez à la table d’un bar (un lieu qu’il fréquentait beaucoup) et quand vous le retrouviez, il avait écrit un texte sur un bout de menu, avec la facilité d’un Picasso dessinant une colombe sur une serviette de table.
 
De Francesca Solleville à Juliette Gréco, nombre d’artistes ont pu profiter de cette manne créatrice, ce qui lui valut une reconnaissance tardive des professionnels de la profession, comme on dit. En revanche,  il n’a jamais eu le public qu’il méritait en raison du cordon de sécurité installé autour de lui par les Majors du business.
 
Pourtant, le grand Allain n’en a jamais ressenti la moindre acrimonie. Il savait qu’il est une forme d’engagement qui conduit quasi automatiquement au black out. Pour un Ferrat (et encore, ce fut difficile) combien de chanteurs oubliés ? Leprest était de cette dernière catégorie, malgré l’honneur (et le bonheur) de voir certains de ses succès repris par de jeunes interprètes (comme Olivia Ruiz) ou d’autres, moins jeunes mais tout aussi talentueux (comme Romain Didier, Jacques Higelin, Enzo Enzo, ou Nilda Fernandez).
 
On ne verra donc plus le visage torturé d’Allain Leprest, sa gestuelle de mime. On n’entendra plus sa gouaille de titi parisien, sa voix éraillée, ses coups de gueule permanents. Dans l’un de ses refrains, il disait : « Chanter, chanter des fois ça m’fout l’cafard ». Ne plus l’entendre chanter, aujourd’hui, c’est ça qui fout l’cafard.
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