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Le petit monde de Coquelicot
27 février 2009

Questions sur l'inceste

Un psychiatre expert vous répond.

Selon l'enquête publiée par l'Association internationale des victimes de l'inceste (AIVI), 3 % des Français déclarent avoir été victime d'inceste, soit près de 2 millions de personnes. Un Français sur quatre connaît au moins une personne qui a été touchée par un inceste dans son entourage. Comment prévenir l'inceste et aider les victimes ? Le Dr Paul Bensussan répond à ces questions.

Interview du Dr Paul Bensussan.
Le Dr Paul Bensussan est psychiatre, expert agréé par la Cour de cassation, diplômé de sexologie clinique. Ses travaux sur l'inceste sont connus de ses pairs comme des magistrats.

Quelle est selon vous l'ampleur du phénomène de l'inceste ? Certains milieux sociaux sont-ils davantage touchés ?

Dr Paul Bensussan : Il est habituel de dire qu'aucun milieu social n'est épargné par l'inceste, conduite de transgression par excellence. Pour autant, les considérations épidémiologiques en vigueur dans les années 60, selon lesquelles les milieux défavorisés étaient plus concernés, ne me paraissent pas totalement dépassées. Certains paramètres, tels que l'alcoolisme, des conditions matérielles précaires favorisant une proximité physique excessive, ou encore l'existence d'un autre type de délinquance, augmentent la propension à l'agression sexuelle sur mineur. En résumé, considérer que l'inceste peut survenir dans n'importe quel type de famille est exact. Mais cela ne revient pas à considérer que l'incidence est identique dans tous les milieux sociaux. Seule la facilité accrue du dévoilement, notamment par le milieu scolaire, a pu renforcer cette perception, selon moi inexacte ou simpliste.

Comment prévenir l'inceste ?

Dr Paul Bensussan : Dans les dernières années, l'accent a principalement été mis sur la répression. La France est connue pour être le pays européen qui prononce les peines les plus lourdes en matière d'abus sexuels sur mineur. On a renforcé l'information des enfants, avec des campagnes dites de prévention, qui sont en fait des campagnes de détection des abus sexuels, notamment intra familiaux, dès l'école primaire.

Il me semblerait néanmoins très intéressant et aussi productif de mettre l'accent sur l'éducation… des parents. Le respect et l'apprentissage de la pudeur et du territoire de l'enfant, y compris dans son plus jeune âge, est indispensable (à partir de quel âge les parents jugent-ils nécessaire de frapper à la porte de leur enfant pour ne pas surprendre dans son intimité ?).

Dans le même esprit de prévention, j'attache la plus grande importance aux carences affectives, qui ont des effets durables et gravissimes. Le père incestueux est souvent carencé et reproduit, dans son type d'éducation, les carences affectives précoces dont il a pu souffrir.

Les éthologues ont montré l'importance, chez le primate, de l'attachement, véritable barrière de protection vis-à-vis des comportements incestueux. S'il est vrai que certains enfants peuvent être pathologiquement attachés à des parents maltraitants, il est non moins vrai que l'attachement constitue chez l'humain la meilleure barrière de protection contre l'inceste (1).

Pour avoir beaucoup travaillé sur les fausses accusations d'inceste, notamment au cours des séparations parentales très conflictuelles, on pourrait opposer presque point par point les pères accusés à tort aux pères incestueux : les premiers se voient reprocher leur comportement de ' papa poule ', alors que les seconds alternent entre des positions d'intrusion, voire d'effraction, et une distance inaffective. Cela dit, il ne faut jamais perdre de vue que l'inceste le plus fréquent n'est pas l'inceste père / fille mais l'inceste beau-père / belle fille, ce qui semble presque démontrer la théorie exposée plus haut : la barrière de l'attachement précoce, n'ayant pas été mise en place, ne peut jouer son rôle de protection.

Comment aider les victimes ?

Dr Paul Bensussan : Il importe tout d'abord de se montrer extrêmement prudent dans l'analyse d'un dévoilement, a fortiori si ce n'est pas l'enfant qui dévoile, mais l'un des parents qui accuse l'autre. Les récents fiascos judiciaires ont sensibilisé l'opinion à cette nécessaire rigueur et prudence dont doivent faire preuve tous ceux qui sont en charge de ces affaires (policiers, experts, magistrats).

En second lieu, il importe de se départir, devant une victime d'inceste, des a priori les plus répandus : on a beaucoup mis l'accent, souvent à juste titre, sur les séquelles psychosexuelles durables pouvant résulter de l'inceste. Il importe cependant de considérer qu'elles ne sont ni systématiques ni définitives. La rapidité du dévoilement et de la réponse, qu'elle soit sociale ou judiciaire, constitue un facteur pronostique essentiel. Des gestes graves dévoilés rapidement peuvent avoir moins de conséquences que des abus sexuels plus ' légers ' imposés à la victime durant des années. C'est alors du côté psychoaffectif et non du côté sexuel qu'il faut rechercher les séquelles les plus préoccupantes : l'abus au sens moral de ce terme, cette supercherie qui fait que l'enfant confond, via la relation d'emprise, les gestes d'affection et les gestes transgressifs. C'est cette confusion qui entraînera les séquelles psychologiques les plus durables. Aider efficacement les victimes suppose donc, selon moi, de moins se focaliser sur l'aspect sexuel et de s'attacher, dans le travail psychothérapeutique, à restaurer la capacité à donner sa confiance.

(1) SENNINGER J.L. Attachement et agressions sexuelles d'enfants in Synapse, juin 1997, n° 137, p.8-13.

A lire

' Le nouveau code de la sexualité ', Paul Bensussan et Jacques Barillon, Editions Odile Jacob.

Isabelle Eustache
09/02/2009

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