Le droit au laisser mourir
Hier soir, j'ai regardé l'émission de Mireille Dumas "Vie privée, vie publique" qui se terminait par une interview de Laurent Malet, un comédien que je ne connaissais pas, qui racontait comment, avec son frère jumeau, Pierre, et l'aide d'un médecin et d'une infirmière, ils ont abrégé les souffrances intolérables de sa mère, Florence. Ca m'a rappelé la fin de vie de mon oncle paternel, Ritou, mort dans des souffrances atroces, après avoir été opéré deux fois de tumeurs cérérables.
Quand la médecine continue de se
préoccuper plus de la maladie que du malade. En 2003, le cas de Vincent
Humbert, ce jeune homme tétraplégique, aveugle et muet qui demandait à
mourir, avait ému la France. Plus de trois ans après, le débat sur
l'euthanasie est relancé par un livre du comédien Laurent Malet, En
attendant la suite (Le Cherche Midi). L'acteur y raconte comment, il y
a vingt ans, il a aidé sa mère, atteinte d'un cancer cérébral
incurable, à mourir. Une euthanasie pratiquée dans la clandestinité
avec l'aide d'un médecin, comme cela arrive encore aujourd'hui en
France.
Après l'affaire Humbert, une loi instaurant un droit au « laisser mourir » a été votée en 2005. Elle permet l'arrêt de traitement d'un malade inconscient, en accord avec la famille et les médecins, et met fin à certaines formes d'acharnements thérapeutiques. Selon Jean Léonetti, député UMP et coauteur du texte, des milliers de malades ont vu leur traitement interrompu. Mais la loi ne règle pas tout, notamment pas les cas similaires à celui de Vincent. En novembre, Hervé Pierra, un homme de 29 ans en état végétatif chronique, en a bénéficié. Les médecins ont retiré la sonde gastrique qui le maintenait artificiellement en vie et le patient a mis six jours pour mourir de faim et de soif, avec d'importantes convulsions. Pour Jean Léonetti, ce n'est pas la législation qui est en cause, mais son application.
Une explication qui ne convainc pas Marie Humbert,
la mère de Vincent, qui se bat depuis la mort de son fils pour faire
évoluer la législation en faveur de l'euthanasie active. En mars, elle
devrait témoigner devant les assises de la Dordogne au procès d'un
médecin et d'une infirmière poursuivis pour avoir aidé une patiente en
fin de vie à mourir. Marie Humbert compte profiter de cette tribune
pour demander à nouveau une évolution du droit. La proposition de loi
d'initiative populaire « Vincent-Humbert », lancée par l'association
Faut qu'on s'active, devrait prochainement recueillir 300 000
signatures de soutien. Dans certains pays européens, cela permet de
déclencher une discussion au niveau législatif. Pas en France. Marie
Humbert a demandé des rendez-vous aux principaux candidats à la
présidentielle. « Les réunions que je fais dans toute la France
rassemblent de plus en plus de monde, explique-t-elle. Les gens
viennent raconter leurs expériences, comment leurs proches sont morts
dans des souffrances atroces. Ces gens-là, il faut les entendre. »
Laurent Malet a tourné sous la direction des plus grands réalisateurs,
mais il n'évoque ici sa carrière qu'en toile de fond d'un livre dont le
personnage central est sa mère Florence. Axe autour duquel lui et son
frère jumeau Pierre avaient bâti leur enfance, telle une forteresse
inexpugnable, au soleil du Midi de la France. C'est cette enfance solaire qui éclaire en contrepoint le crépuscule de la vie de leur mère, atteinte d'un cancer. Albert Cohen a eu raison d'écrire que les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles. Les jumeaux monteront la garde auprès de leur mère pour l'escorter
jusqu'au bout de son combat contre la maladie et accomplir le plus bel
acte d'amour qui soit, libérer celle qu'ils aiment de ses souffrances. Récit pudique et émouvant, "En attendant la suite" est à la fois un hymne à l'enfance et un chant d'amour à une mère disparue. C'est l'amour qui fait qu'on finit pas accepter d'entendre A
l'occasion de la sortie du livre de Laurent Malet (En attendant
la suite, Le Cherche Midi), 20 Minutes a organisé une rencontre entre
l'acteur et Marie Humbert. Deux histoires différentes, mais qui se
rejoignent. Deux histoires d'amour, au bout du compte. 1. LA MALADIE
Est-on préparé à affronter de telles épreuves ?
Laurent
Malet : Bien sûr que non. Je n'avais aucun moyen de pouvoir apprécier
la gravité de la situation. Au départ, ma mère a eu un cancer du sein.
Huit ans plus tard, une migration osseuse, une petite tache quelque
part sur une dorsale. Ce n'est pas grand-chose, une petite tache sur un
os. Il y a un traitement, ça fonctionne, affaire classée. Finalement,
il y a une récidive cérébrale. Pour moi, ça n'était pas mortel alors
que ça l'était. Cette donnée-là m'a échappé.
Comment en parliez-vous avec votre mère ?
L.
M. : Elle était persuadée qu'elle allait s'en sortir, qu'il fallait se
battre. Mais on n'en parle pas forcément. Ces choses, on les sait,
elles sont induites. Je pense que Marie Humbert sait de quoi je parle.
Les mots sont simples, le regard dit tout. Marie Humbert : Avec
Vincent, c'était par sensation, quand on se touchait. Vincent avait ses
yeux cousus, on ne pouvait pas parler, je communiquais avec son pouce.
Il y avait des sensations, on arrivait à se comprendre selon la manière
dont il me touchait. Ce sont des instincts qu'on a en nous.
2. Les MEDECINS Quels rapports aviez-vous avec les médecins ?
L.
M. : Tout cela est dans une espèce de flou artistique. Heureusement,
avec mon frère [Pierre Malet, également comédien], nous étions deux
pour rechercher des informations face à l'opacité de la médecine. En
plus, à l'époque, il y avait le secret du dossier médical. On ne
pouvait pas confronter les avis. Nous y sommes arrivés en piratant
notre dossier, nous avons fait des photocopies de comptes rendus de
scanners. On allait jusqu'à enregistrer les entretiens avec les
médecins. On réécoutait tout, on cherchait les silences, les gênes.
Comme on est comédiens, on sait comment s'y prendre pour noyer le
poisson, dire les choses à moitié...
Quand votre fils a demandé à mourir, comment a réagi l'équipe médicale ? M.
H. : Personne ne lui répondait. On a même dit que Vincent n'avait pas
toute sa tête. J'ai demandé au conseil d'éthique de Paris de faire une
expertise. Ils sont venus, ils sont restés trois heures avec Vincent.
Un mois après, ils ont envoyé leur rapport personnellement à Vincent
pour lui dire qu'il avait toute sa tête, mais qu'il était trop jeune
pour mourir. 3. La mort Comment en arrive-t-on à l'idée que la seule solution, c'est d'aider l'autre à mourir ? L.
M. : Dans le livre de Vincent [Je vous demande le droit de mourir,
Michel Lafon], il y a une chose très émouvante. C'est quand vous,
Marie, vous acceptez d'envisager l'idée qu'il vous propose, alors que
vous mettez le sujet de côté, pensant que ça irait mieux. J'en parle
parce que je l'ai vécu aussi quand ma mère nous disait : « Aide-moi
maintenant tout de suite, la suite. » On savait ce que ça voulait dire,
mais c'était nous qui refusions d'accepter d'entendre cette demande.
C'est l'amour qui fait qu'on finit par accepter d'entendre. Il n'y a
pas une histoire qui se ressemble, mais cela se passe souvent de la
même façon. M. H. : Vincent savait, il entendait les kinés qui
disaient que c'était foutu. Il me laissait dans mon délire, jusqu'au
jour où il m'a dit : « Maman, un jour tu vas comprendre que c'est fini
pour moi. » Un soir, il en a eu marre, il a pris ma main et il m'a dit
: « Tu ne m'aimes pas, si tu m'aimais, tu me tuerais. Tu veux me garder
pour toi. » Ça m'a fait un électrochoc, je me suis dit qu'il avait
raison. L. M. : Un jour, le médecin généraliste nous a dit : «
Maintenant, on la garde pour vous. » J'en ai parlé avec mon frère. Ça a
été très simple, je lui ai dit : « Je crois qu'il faut le faire. » Il
m'a demandé : « Quand ? Maintenant ? » Je lui ai dit : « Oui. » On a
parlé au généraliste, il savait qu'on allait le faire et qu'on n'en
parlerait pas. On m'a évité d'accomplir le geste physiquement, je ne
sais pas si j'en aurais eu la force. J'aurais eu du mal à continuer à
vivre avec ce geste. 4. La Loi Tout se fait dans la clandestinité. Comment analysez-vous votre geste aujourd'hui ? L.
M. : Cette affaire est un secret de Polichinelle. Ce sont des actes qui
sont pratiqués dans certains services, tous les jours, à l'instant où
on parle. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre. Cela concerne tout le
monde. Ce n'est pas un droit à mourir, c'est un droit à conduire
librement et dignement sa vie jusqu'à son dernier instant. M. H.
: C'était humain d'aider Vincent. C'étaient des souffrances. Pour qui ?
Pourquoi ? Il avait un coeur de 20 ans, il aurait pu vivre trente ans
comme cela, dans des souffrances pas possibles, sans voir, sans parler.
On ne peut pas faire vivre les gens contre leur volonté.
Recueilli par D. C.
Interview de Jean Léonetti, député UMP et coauteur de la loi sur le droit au "laisser mourir". Le
cas d'Hervé Pierra, qui a mis six jours à mourir après que sa sonde
gastrique a été débranchée pour l'aider à mourir, remet-elle en cause
l'application de la loi ? Non, la loi n'est pas en
cause. Le problème, c'est la souffrance que peut ressentir le malade ou
la famille du malade. Dans ce cas précis, le patient était inconscient
et ne souffrait pas, malgré les convulsions apparentes. Mais la
souffrance que peut ressentir la famille face à la douleur supposée de
leur proche existe. Ce n'est pas une fin apaisée, alors que le but de
la loi est de permettre une fin apaisée. Il faut améliorer
l'application de la loi, qui n'a pas été appréhendée de manière globale. Comment cela est-il possible ? Tout
doit être fait pour que cette souffrance ne puisse pas être ressentie.
Après avoir arrêté un traitement et débranché les appareils qui
maintenaient en vie, les équipes médicales ne doivent pas abandonner
les malades et la famille. Cette souffrance, qu'elle soit ressentie ou
non, on doit faire en sorte de la traiter, de la supprimer, quitte,
éventuellement, à rendre le malade totalement inconscient. C'est à la
portée du corps médical. Une fois cet accompagnement amélioré, il n'y aura plus de problème ? La
loi a déjà bénéficié à des milliers de personnes qui ont pu arrêter
leur traitement et partir de manière apaisée, avec un accompagnement
médical. On ne peut plus aujourd'hui maintenir artificiellement en vie
quelqu'un qui ne le souhaite pas. Recueilli par D. C.
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